La 66e Semaine d’études liturgiques Saint-Serge sur les liturgies de pèlerinages (1-4 juillet 2019)

Constatant que la démarche de pèlerinage constitue un phénomène grandissant dans nos sociétés, y compris dans des milieux ni chrétiens ni même religieux, les organisateurs ont estimé nécessaire d’examiner cette question sous un angle liturgique. La démarche recèle au moins deux aspects : celui d’effectuer un déplacement spatial avec un effort, ou dépassement de soi, et celui de la recherche d’un lieu ayant une réputation sacrée, quel que soit le moyen utilisé pour s’y rendre. Lorsque plusieurs personnes sont animées d’un désir d’atteindre un même lieu, leur attitude sur place peut dépasser une simple dévotion personnelle. Celle-ci n’est pas nécessairement organisée au départ, mais si plusieurs pèlerins accomplissent des actes religieux en un même lieu, cela peut évoluer vers une pratique liturgique spécifique. Ce sont ces actes liturgiques sans équivalent en d’autres lieux qui ont retenu l’attention des organisateurs de ce colloque.
Ayant rassemblé une cinquantaine de participants, le 66e colloque a accueilli 24 exposés dont 5 en anglais et les autres en français, avec traduction simultanée dans chaque sens. Un seul exposé a été lu en l’absence de l’orateur. Les intervenants sont venus d’Autriche, Belgique, France, Inde, Italie, Roumanie, Russie, Slovaquie et Suisse. Diverses pratiques ont été présentées et analysées, le plus souvent avec une grande pertinence.
Les travaux du colloque ont été ouverts par un mot de bienvenue de Monseigneur l’Archevêque Jean (Renneteau) de Charioupolis, chancelier de l’Institut organisateur, soulignant l’importance de ces rencontres se donnant pour but d’examiner des questions liturgiques avec des outils scientifiques et académiques. Par sa présence active tout au long de la première matinée du colloque, le Chancelier a beaucoup soutenu et encouragé les participants.
Lors de cette séance d’ouverture, le diacre André Lossky, professeur de Théologie liturgique à l’Institut organisateur, et chargé de la préparation des Semaines liturgiques, a souhaité la bienvenue à tous les participants au nom du Doyen de l’Institut, de son corps enseignant et de l’équipe des organisateurs du colloque. Rappelant que tout pèlerinage exprime un désir de transformation ou d’élévation, il a souligné le rôle que peut jouer la liturgie en ce domaine.
Les organisateurs ont élaboré un programme articulé en plusieurs volets thématiques, définis pour regrouper les exposés dont la plupart sont des propositions parvenues aux organisateurs. Malgré sa diversité thématique, le colloque ne prétend pas épuiser un si vaste domaine. Les travaux ont commencé par deux exposés introductifs, suivis d’une approche biblique et néo-testamentaire, avant la présentation de deux pèlerinages anciens, suivis d’autres exemples plus récents en Occident
Le premier soir du Colloque, des Vêpres ont été célébrées en l’église Saint-Serge, suivies d’une collation, occasion de présenter le dernier volume paru dans la collection des Semaines d’Études liturgiques. Ce volume rassemble les Actes de la Semaine de l’année précédente, intitulé : Le corps humain dans la liturgie [v. https://www.aschendorff-buchverlag.de/detailview?no=12229]. Parmi quelques points, cette présentation a insisté sur la différentiation entre des pratiques de dévotion allant dans le sens du mystère célébré, et celles ayant subi des déformations ou surcharges conduisant à une approche superstitieuse de certaines pratiques liturgiques, et détournant de l’essentiel.
Les travaux ont continué avec des études de pèlerinages en Orient, avant que ne soient abordés des aspects ou thèmes spécifiques, ainsi : le lien entre pèlerinage et pratique sacramentelle, l’influence de Jérusalem, et des exemples de textes ou de chants propres à certains pèlerinages ; puis une session a été spécialement consacrée à des pèlerinages russes. Le colloque a été conclu par quelques exposés sur des questions liturgiques actuelles.
Au long des sessions, plusieurs discussions spontanées et fécondes ont suivi certains exposés, sans une organisation préalable.
Ainsi, à propos des pèlerinages à Jérusalem, des échanges entre plusieurs spécialistes éminents ont concerné les origines de l’hymnographie : la présence d’hymnes liturgiques est mentionnée par la voyageuse Égérie (fin du 4e s.) qui n’en donne pas le texte ; par ailleurs, des hymnes conservées en géorgien ont été récemment étudiées et traduites par le Père Charles Renoux, le plus ancien participant actif des Semaines liturgiques. Ces hymnes, auxquelles on suppose l’existence d’un original grec, présentent des allusions topographiques aux lieux saints. La discussion a porté sur un possible rapprochement entre le vocabulaire d’Égérie et le contenu de ces hymnes, ce qui peut constituer un indice d’ancienneté et de rattachement de certaines strophes à une époque proche de celle d’Égérie.
Une autre question a fait l’objet d’un débat : à Lourdes, lieu de pèlerinage célèbre, on constate une insistance sur l’Eucharistie. En ce sens, une visite même brève en ce lieu peut constituer l’occasion, pour un pèlerin, d’une prise de conscience de l’importance de la vie sacramentelle ; par ailleurs, des processions avec adoration eucharistique y sont organisées. Le débat entre spécialistes, qui sont également des pasteurs, a porté sur une difficile justification théologique de ces pratiques d’adoration, par rapport à l’Eucharistie comme célébration centrale récapitulant le mystère du salut.
À l’occasion des quelques exposés ayant eu pour point de départ l’analyse de pèlerinages pratiqués en Russie et en Alaska, les orateurs ont évoqué diverses pratiques de piété ou dévotion dont ils ont souligné l’aspect ascétique ainsi que les dimensions anthropologiques et sociologiques, et dont le caractère liturgique n’allait pas de soi au premier abord. Ce fut l’occasion de rappeler le sens strict du qualificatif de « paraliturgique », un terme qui désigne des pratiques religieuses absentes des livres liturgiques officiels d’une Église, tandis qu’on lui prête parfois un sens plus flou. Cette clarification terminologique était nécessaire.
Le programme a inclus une visite commentée de la basilique du Sacré-Cœur (butte Montmartre à Paris), suivie d’un repas proposé sur place avant de poursuivre les travaux dans une salle avoisinante. Les participants ont bénéficié d’un accueil chaleureux et ont pu découvrir les circonstances historiques de la construction de cette célèbre Basilique, érigée à la suite d’un voeu, près du lieu où ont souffert les premiers martyrs de Paris. Commencée vers 1870 et consacrée en 1919, elle reçoit toujours un grand nombre de pèlerins. La visite détaillée de la basilique a permis d’en découvrir l’architecture particulière, avec un grand nombre de chapelles rayonnantes.
Parmi quelques points saillants, nombre d’exposés de ce colloque ont souligné l’importance du mouvement à l’occasion d’un pèlerinage : qu’il s’agisse d’un court déplacement ou d’un long voyage, toute liturgie de pèlerinage exprime et provoque un élan communautaire ou personnel vers Dieu. Tout pèlerinage accompli de manière consciente, et quelle qu’en soit la forme ou l’ampleur, est une transformation intérieure à distinguer d’une démarche culturelle ou touristique. C’est cette transformation qui est exprimée dans les liturgies des pèlerinages.